
Pour ce troisième week-end consécutif de mobilisation des "gilets jaunes", qui a rassemblé samedi 1er décembre 136.000 manifestants en France selon le ministère de l'Intérieur, contre 166.000 le 24 novembre, la violence est encore montée d'un cran, témoignant d'une crise majeure. Paris a été le théâtre de véritables scènes de "guérilla urbaine". Arc de Triomphe tagué et saccagé, grilles du jardin des Tuileries arrachées, véhicules incendiés, magasins pillés... : l'ouest et le centre de la capitale ont été tout particulièrement pris pour cible. Au total, "249 feux" ont été recensés par les pompiers, visant "112 véhicules, 130 mobiliers urbains" et "six bâtiments", a énuméré le préfet de police Michel Delpuech lors d'une conférence de presse dimanche, précisant que "le recensement complet des dégâts est en cours". Ces violences ont donné lieu au chiffre record de 363 gardes à vue, dont 32 pour des mineurs, selon un nouveau bilan du parquet de Paris. Parmi eux, 139 suspects majeurs ont été présentés à ce stade à la justice tandis que 111 ont vu leur garde à vue prolongée. De nombreux incidents ont également eu lieu en province. A Toulouse, 57 personnes, dont 48 policiers, ont été blessées samedi. À Arles, un automobiliste est décédé après avoir percuté un poids lourd en raison d'un bouchon provoqué par un barrage des "gilets jaunes". C'est le troisième décès accidentel depuis le début du mouvement. Au Puy-en-Velay, la préfecture a été incendiée. Des affrontements très violents ont aussi eu lieu à Calais, Tours, Saint-Etienne... Marseille et Bordeaux ont aussi connu des incidents.
Course contre la montre
Pour tenter d'apaiser la crise sociale et politique en cours et éviter la répétition des violences de plus en plus graves qu'elle a déchaînées, l'exécutif a engagé ce 3 décembre une course contre la montre. Le Premier ministre Edouard Philippe a été chargé par Emmanuel Macron de recevoir les principaux responsables politiques du pays. Il doit rapidement annoncer des "mesures" afin de permettre "le déroulement serein de la concertation décentralisée souhaitée par le président de la République", et "assurer le maintien de l'ordre et le respect de la loi".
Plus précis, le ministre de l'Economie Bruno Le Maire a jugé nécessaire d'"accélérer la baisse des impôts" mais aussi celle de la "dépense publique". "Moins de dépense publique, moins d'impôts, et le plus vite sera le mieux, parce que nous mesurons à l'aune de cette crise sociale, démocratique, l'impatience de millions de Français", a-t-il insisté.
Mercredi à l'Assemblée et jeudi au Sénat, un débat se tiendra avec tous les partis, a indiqué lundi matin Matignon. En signe de soutien aux forces de l'ordre, le président Emmanuel Macron a déjeuné avec des CRS et policiers dans une caserne parisienne lundi midi. Une réunion ministérielle était en cours ce lundi soir à l'Elysée. Le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner recevra les syndicats de police mardi, a fait savoir Beauvau.
Poursuite du mouvement
Dépôts pétroliers, routes : initiés par les "gilets jaunes", des blocages se poursuivaient un peu partout en France ce lundi, provoquant même des pénuries de carburant en Bretagne et des kilomètres de bouchons à la frontière espagnole. Nouveauté : plus d'une centaine de lycées étaient bloqués, partiellement ou totalement, par un mouvement de protestation contre les réformes dans l'Education, qui s'est inscrit parfois en soutien aux "gilets jaunes". L'Elysée a fait savoir qu'une annulation du voyage d'Emmanuel Macron en Serbie mercredi et jeudi était "à l'étude".
L'extrême tension dans le pays, après trois samedis émaillés de scènes d'émeutes et des blocages quotidiens un peu partout sur le territoire, se reflète dans les menaces de mort reçues par un collectif de "gilets jaunes" invité à Matignon mardi après-midi, quatre jours après l'échec d'une première tentative. Les représentants de ce collectif des "gilets jaunes libres" ont d'ailleurs fait savoir ce lundi soir qu'ils n'iraient pas discuter à Matignon mardi, notamment pour "raisons de sécurité". Jacline Mouraud, à l'origine d'une vidéo virale sur la "traque aux automobilistes", fait partie de ces "gilets jaunes libres" ayant appelé dimanche à une "sortie de crise". Les personnes qui font des menaces de mort "ne veulent pas de résolution du conflit", a-t-elle affirmé à l'AFP. Selon elle, l'apaisement passerait par un moratoire sur les taxes sur le carburant, une annulation de l'alourdissement du contrôle technique automobile et un rétablissement de l'impôt sur la fortune.
La contestation est née du refus de la hausse de la fiscalité sur les carburants pour financer la transition écologique. Exacerbée par la question du pouvoir d'achat, sur fond de mépris ressenti par nombre d'habitants des zones rurales et périurbaines, elle s'appuie, selon les sondages, sur le soutien constant de 70 à 80% de l'opinion.
Demande de moratoire sur la hausse du prix des carburants
La plupart des responsables de l'opposition demandent un moratoire sur la hausse prévue du prix de l'essence et du diesel au 1er janvier. C'est l'un des messages portés lundi devant le Premier ministre notamment par Nicolas Dupont-Aignan (DLF), Olivier Faure (PS), Benoît Hamon (Génération-s), Jean-Christophe Lagarde (UDI), Marine Le Pen (RN), Florian Philippot (Patriotes) ou encore Laurent Wauquiez (LR). Jean-Luc Mélenchon (La France insoumise) et François Bayrou (MoDem) avaient prévu de se faire représenter. Seuls les écologistes David Cormand et Delphine Batho n'ont pas demandé de moratoire. Quant à Nicolas Dupont-Aignan, il a rapidement coupé court à son entretien au motif qu'il ne pouvait pas filmer celui-ci. "Pour l'instant, nous n'avons pas de réponse", a déclaré Olivier Faure, premier chef de parti reçu dans la matinée. En sachant que les députés et sénateurs socialistes ont présenté une proposition de loi de neuf articles "pour sortir de la crise" , qui inclut notamment un rétablissement de l'ISF, un moratoire sur la hausse des taxes énergétiques, un élargissement du chèque énergie, une augmentation de la prime d'activité et deux mesures en faveur des retraités, avec "entrée en vigueur" au 1er janvier 2019.
Pour Marine Le Pen, il ne reste "que quelques heures pour mettre fin à la stratégie de la confrontation choisie par Emmanuel Macron depuis maintenant près de trois semaines". A sa sortie de Matignon, la présidente du RN a réclamé des solutions "importantes", "audibles" et "immédiates".
"Le président de la République ne peut pas continuer à rester silencieux", avait jugé dans la matinée le patron des Républicains (LR) Laurent Wauquiez, renouvelant son appel à un référendum sur la transition écologique.
"Grenelle" du pouvoir d'achat et de la transition écologique
Côté associations d'élus, Villes de France a appelé dans un communiqué diffusé ce 3 décembre à un "'Grenelle' du pouvoir d'achat et de la transition écologique", "un moment de dialogue intense sans aucun tabou pour aboutir à des prises de décision qui vont permettre d'apaiser les tensions extrêmes qui parcourent notre société". "Les villes moyennes et les intercommunalités que représente Villes de France sont quasiment celles des 'Gilets jaunes' : elles sont les villes des bassins de vie des territoires ruraux, (…), les villes de la France qui exprime aujourd'hui, dans les rues et sur les ronds-points, son désarroi et sa colère", justifie-t-elle. Selon l'association présidée par Caroline Cayeux, maire de Beauvais, "il faut s'atteler à la mise en œuvre d'une politique audacieuse et innovante qui permettra de dégager des moyens pour que ce ne soit pas les citoyens les moins aisés qui supportent le coût de la transition écologique".
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